Histoire d'un Collectif

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Une histoire d'amitié, de solidarité et de "mucho cariño"


Villa Garcia …... Montevideo, km 19…… parce que nous sommes dans le Montevideo rural, à 19 km du centre. Un quartier que je connais maintenant depuis près de 22 ans et où j’y vis depuis 13 ans : un quartier en mouvement, dont la population croit sans cesse et qui souffre cruellement de l’absence d’infrastructures.

Un quartier dit en « zone rouge » parce que modeste ? Parce que la marginalité y est plus visible qu’ailleurs ? Parce que le taux de désoccupation est élevé ? Parce que les asentamientos * poussent comme des champignons ?

Pour ceux et celles qui y vivent, Villa Garcia, c’est « LE » quartier, c’est LEUR quartier, devenu le mien aussi, et quand on le quitte, obligé et contraint, comme ce fut le cas d’un jeune de notre entourage, parti à Barcelone gonfler les rangs des travailleurs clandestins, on emporte dans ses bagages un petit morceau de la "plazita" du km 19.

Un quartier qui a aussi ses histoires, ses légendes, ses bisbrouilles : il a ceux de ce côté-ci de la grand route et ceux de l’autre côté, ceux du km 19 et ceux du 16, du 21, la rivalité est discrète et présente, mais quand il s’agit de s’indigner devant la mort d’un enfant, tué par une voiture alors qu’il ramassait son pain tombé sur la grand-route, tout le monde se serre les coudes et coupe la chaussée à grand renfort de pneus enflammés pour réclamer des « dos d’ânes ».


Election 2010, les habitants-es soutiennent la candidature de Pepe Mujica à la présidence

Villa Garcia oú se côtoient dans une difficile harmonie, petits agriculteurs et classe ouvrière vivant d’emplois précaires et instables, oú le manque de perspectives des jeunes les rendent vulnérables - alcool, drogue, petite délinquance-, où les jeunes filles à partir de 14 ans voient dans la maternité une façon d’être reconnue et d’exister , où les femmes, chefs de famille, sont légions et de tant devoir se battre pour « le pan y la leche « des enfants, elles en oublient qu’elles sont, mères, certes, mais « Personne » aussi , et elles ont donc le droit à une vie libre de violence, au respect et à s’occuper d’elles-mêmes.

Villa Garcia c’est aussi la mobilisation des habitants pour le quartier, leur engagement, les initiatives menées « a pulmón » (bénévolement) car, « loin » du centre administratif et bureaucratique de la ville, on se sent un peu les oubliés des décideurs-es politiques, tout de gauche soient-ils.- Frente Amplio depuis 2005 .On a vu ainsi de beaux exemples de solidarité lors de la crise économique de 2000 (organisation par les femmes de soupe populaire par ex). C´est ainsi que la polyclinique « 24 de junio » dont question dans ce projet a été construite par les habitants-es mêmes de l’asentamiento du même nom.


Bruxelles, DANA Asbl.... Dana, 4 lettres pour dire le dynamisme, l’engagement, la solidarité, la gratuité du geste, l’humanité et une maturité qui garde ses idéaux. C’était il y a 21 ans, lorsque débutait l’atelier massage au refuge pour femmes battues de Bruxelles, j’ai eu la chance de participer à ce projet original et innovateur de Dana Asbl : quand le massage, fait dans le respect, répare, restaure, réconcilie le corps avec l’esprit , ce corps maltraité , siège des émotions et des énergies de toute nature. Ce massage qui complète, voire facilite, le travail d’accompagnement social et psychologique. J’adorais le mercredi soir, quand Dana venait au refuge, c’était « mon » soir….

Le temps est passé, nos vies ont mûri, nos chemins se sont éloignés, je suis venue vivre en 1998 en Uruguay où j’ai continué à travailler en violence domestique. Dana s'est souvenu de moi.

C’est difficile de transmettre l’estime que j’ai pour leur démarche. Une petite phrase toute simple mais tellement généreuse, tellement pleine d’amour pour l’Autre : « Nous avons avec le temps accumulé un petit capital et nous voudrions savoir s’il y a en Uruguay un projet qui te tient à cœur et que nous pouvons appuyer. »

Je pense que Dana n’a jamais réalisé à quel point ils sont marginaux, hors norme, bizarres parce que la logique c’était de dire « Il nous reste de l’argent, dépensons-le en tables de massage dernier look, huiles exotiques, essuies encore plus grands, que sais-je » Non. Dana pense autrement, fait autrement, avec naturel, avec cœur, respect, aucune condescendance dans leur démarche. Et c’est ce « penser autrement » qui se transmet à l’autre dans la chaleur et l’énergie de la main qui masse, qui donne, qui reçoit.

Le massage de Dana c’est bien plus qu’une technique, c’est un savoir être solidaire, une attitude.

Dana accompagne donc "La Pitanga", association de fait dans son projet" Etre femme, c’est aussi être une Personne". L'objectif général de ce projet que j'ai impulsé en 2007, est de renforcer les actions menées par la communauté, en faveur des femmes et jeunes filles en situation de vulnérabilité sociale dans le quartier de Villa Garcia.

En particulier le projet vise à contribuer, modestement mais avec conviction et dans un esprit solidaire, à la lutte contre la violence domestique, trop quotidienne dans notre quartier. Ce n’est pas facile... le machisme, la culture, la pauvreté, la banalisation de la violence, l’absence de structures sociales adéquates sont autant de freins pour ces femmes qui veulent rompre avec le cycle de la violence.

Mais notre détermination comme voisins et voisines à combattre contre la violence faite aux femmes, parce que nous la considérons comme une limitation de leurs droits en tant qu’être humain, se consolide grâce aux résultats de nos actions que nous pouvons apprécier au jour le jour.

La solidarité que nous recevons,avec gratitude et reconnaissance, nous encourage .

Ce projet me donne aussi , après 30 ans d’expérience en violence domestique, en Belgique et en Uruguay, l’occasion de mettre au service de ce quartier que j’ai fait mien, mon expérience, mon savoir faire, mon expertise et de transmettre ce savoir accumulé à des plus jeunes chez qui je retrouve cette même fougue qui fut aussi la mienne.

2 mai 2010
Claire Niset


*Asentamientos : occupation d’un terrain par un groupe de familles sans logement.Ex. Communauté du Monarque : en 1995, 5 familles occupent un terrain abandonné, rapidement elles sont rejointes par d’autres familles sans logement Actuellement ce sont 2500 familles qui habitent « Le Monarque « d’une façon organisée : délimitations des parcelles individuelles, eau potable, electricté et construction et mise en marche de la polyclinique dont il est fait référence dans le projet.Merci a Marie et à Jean-Pierre pour les photos relatives au 24 de junio

Chronologie


2007-2008: le projet a donné son soutien à une radio communautaire dirigée par des jeunes du quartier : construction d’un local de réunion et équipement du studio d’enregistrement. Le défi à relever par les jeunes, après le decès du directeur, a été très dur et vaille que vaille ils volent maintenant de leurs propres ailes. 
Découvrez le diaporama Radio communautaire FM106.3 en libertad.

Parallèlement, nous avons mis en place un espace « Femme » qui se veut un lieu d’information, de soutien, d'orientation, et de solidarité pour les voisines en situation de violence domestique. Cet espace a lieu une fois par semaine durant deux heures et est coordonné par deux assistantes sociales, spécialistes en violence domestique. Les frères Maristes mettent à notre disposition leur infrastructure et nos réunions se concrétisent dans les locaux du " Club de niños" au km 16.
                                                               
Les témoignages des femmes qui y participent nous donnent confiance quant aux efforts réalisés pour maintenir l’espace.
Car oui, il faut de l’endurance et de la persévérance dans le temps. Pour nous comme pour elles. Pour qui travaille en violence domestique, il est bien connu que « sortir » du cycle de la violence requiert de beaucoup de conditions personnelles (estime de soi, confiance, se reconnaître comme sujet de droits..), conditions externes ( appuis de l’entourage, services d'aide sociale), sans compter les conditions concrètes liées aux ressources economiques, logement, application de la loi pour ne citer que quelques unes des conditions les plus évidentes. Rompre avec la violence est donc tout un cheminement personnel qui bien souvent consiste à faire trois pas en avant, deux pas en arrière (pour mieux sauter ? pour sauter plus loin ?).
Les femmes viennent donc à l’espace, timidement, avec inquiétude, reviennent, certaines avec continuité, d’autres « disparaissent » et « réapparaissent », chacune à son rythme. Nous sommes là.


Notre présence dans la durée est une de nos priorités. Villa Garcia est un quartier pauvre, avec « des quartiers dans le quartier » très pauvres, la violence y est totalement naturelle, violence qui vient du dehors (institutions, vols, drogue, sociéte machiste), violence de la vie (abus sexuels, mauvais traitements dans l’enfance, violations mais aussi faim, manque de soins, abandon affectif) et comme toute communauté fragilisée, donner sa confiance et construire une relation de confiance avec l’autre est une démarche qui bien souvent a été vouée à l’échec ou à la déception.

2008-2009 : un atelier de travail corporel a été proposé aux voisins et voisines et ce sur une durée d’un an : apprendre à connaitre son corps, à l’aimer, l’accepter, à en prendre soin, à le reconnaître comme « mien » et comme source de bien être...

                                                                  Polyclinique Ministère Santé Publique Km 19

Un atelier d'apprentissage de gestion des conflits a été quant à lui proposer aux referent-es communautaires et intervenant-e-s sociaux du quartier.


Pour ceux et celles qui luttent contre la violence domestique, le 25 novembre en Amérique du Sud est un jour incontournable, celui du Jour International de lutte contre la violence domestique (VD).C’est pour nous habitants de Villa Garcia «LE » jour où nous nous mobilisons pour informer et sensibiliser le voisinage sur le sujet : distribution de tracts mais surtout contact direct avec les gens au marché, sur la place, émissions radiales, spectacles.

Cristina donne son témoignage

2010 : une dynamique intéressante s’installe dans le quartier, reflet d’une préoccupation plus générale dans le pays face à l’ampleur de la violence domestique.
En 2009, 29 partenaires ou ex partenaires assassinent leur conjointe, ex conjointe, petite amie…ou fillette, en 2010, à la date d’aujourd’hui (juin), 20 femmes et petites filles sont mortes.
Il s’agit ici des victimes dont la presse a fait écho parce que leur mort fut explicitement conséquence d’un acte de violence domestique. Sur une population qui compte 3.200.000 habitants c’est beaucoup.


Une grande partie des victimes étaient séparées et /ou avaient déposé plainte de nombreuses fois parce qu’elles se sentaient en danger.
Tout récemment, le Ministère de l’Intérieur précisait que les plaintes pour Violence domestique venaient en second lieu après les plaintes pour vol.


Le premier jeudi du mois, manifestation contre la VD,
devant la municipalité, organisée par " Mujeres de negro" 
                                                         
En Uruguay la violence domestique est un délit (loi nr. 16.707 de Sécurité Citoyenne et loi nr.17.514 de Violence Domestique)
Depuis le retour de la démocratie et à partir des années 80 les organisations de femmes ont mis sur la scène publique la violence domestique en tant que obstacle à l’exercice des droits humains, impulsant, tant au niveau de la société civile que au niveau des différentes politiques publiques, la création de services d’aide aux femmes en situation de VD et la mise en place de campagne d’information et de prévention.
Aujourd’hui, nous devons reconnaître qu’un formidable travail a été réalisé tant de la part de la société civile que des différents Ministères ayant compétence en la matière : législation, Plans quinquennaux de lutte contre la VD, décentralisation des services d’aide, politiques publiques diverses ...mon propos n’est pas ici d’en faire l’inventaire sinon de reconnaître les efforts réalisés, d’en féliciter les résultats et de tenter de refléter au jour le jour comment la voisine vit « du dedans » la situation.

Dans notre quartier qu’en est-il ?
Le premier service d’aide aux femmes en situation de VD n’est accessible depuis notre quartier, ni à pied , ni en bicyclette. Or les habitants ont une idée géographique très restrictive de ce qu’est « leur » quartier, et c’est cette définition qui leur donnera ou non le sentiment d’appartenance et les mobilisera pour demander de l'aide face à un problème si délicat.

VD Une réalité que nous pouvons changer
Action de sensibilisation pour le 25 nov 2007
Sortir de chez soi, quand je me définis avant tout comme « femme au foyer », que j’identifie que c’est cela mon rôle, ma fonction, quand en plus j’ai un conjoint qui contrôle mes allées et venues, les contacts que j’ai en dehors de lui, l’air que je respire sans lui, quand de surcroît j’ai une famille nombreuse à ma charge et que je n’exerce aucune activité rémunérée...sortir de chez soi devient alors un acte d’autodétermination et nécessite de déployer des stratégies d’autoprotection et de survie.
Sortir de son quartier pour demander de l’aide et le faire en toute discrétion pour de nombreuses femmes cela devient très très difficile et la conviction d’être une « Personne », sujet de droits doit être fortement installée pour faire cette démarche.
L’espace « Femme » que nous proposons comme lieu de rencontre, d’information, de soutien et de solidarité pour les femmes en situation de VD est donc une réponse bien reçue par les voisines et par les professionnelset professionnelles de par la proximité du lieu. Une proposition qui, vu sa continuité dans le temps, a pris une certaine assise, les médecins des polycliniques communautaires nous envoient leurs patientes, le téléphone vert de la municipalité également et surtout le « bouche à oreille » commence à donner des résultats encourageants..
Dans le quartier nous sommes devenues une référence dans le domaine et des liens étroits se sont tissés entre nous et quelques jeunes médecins, hommes et femmes, de famille très préoccupés par le nombre de femmes chez qui ils détectent une situation de VD. Ils-elles, n’ont pas la formation requise pour aborder la thématique et notre intervention est dès lors fortement sollicitée.

La violence domestique traverse grand nombre d’aspects de la vie du citoyen : éducation, santé, travail, logement, ordre public Un réseau s’est ainsi formé dans le quartier pour unir les efforts et travailler en collégialité. Des ponts se dessinent entre cette problématique et d'autres d'importance dans le quartier comme le décrochage scolaire.



Notre objectif étant d'encourager davantage de voisines à participer de l'espace " Femmes", nous avons  cette année mis en place deux consultations, une dans la polyclinique Don Bosco
(km 16) et l’autre dans la polyclinique située au cœur même de l’asentameinto 24 de junio.
L’idée étant que l’équipe mise en place dans chacune des polycliniques puissent nous orienter les patientes en situation de VD pour un entretien dont l’objectif est d’offrir une première écoute, établir un diagnostic de la situation, donner l’ information de première nécessité et surtout créer un lien avec la personne, encourager la confiance et faciliter au fil des entretiens le passage à l’espace collectif, l’ espace « Femme ».


Polyclinique Don Bosco,
Ministère Santé Publique km 16
Nous sommes très enthousiastes par la mise en place de ces deux consultations car nous sommes convaincu-es qu’il est important d’aller à la rencontre de qui vit une situation de VD, de la joindre là oú elle se sent « chez elle » et la polyclinique du quartier répond à ce critère : les femmes y viennent sinon pour elle, pour leurs enfants.




Un futur marqué de tous les espoirs


Il est difficile de transmettre " l'esprit" qui anime  le projet et chacun-e d'entre nous..C'est comme un bouillon à la fois de bons sentiments, d'enthousiasme, de générosité, de "compañerismo", de conviction, d'engagement personnel ET de sérieux, d'expérience, de profesionalisme, de savoir-faire.

Personnellement par exemple, ce sont 30 ans de pratique qui m'ont amenée à repenser nos stratégies d'intervention en matière de violence domestique et je suis tous les jours davantage convaincue que des services d'accueil de proximité sont importants.

Aller à la rencontre de ...., être là où il est socialement reconnu que les femmes ont leur place
(la polyclinique, l'ecole, la garderie,le marché..), sortir de nos bureaux de consultation mais ne pas tomber dans l'asistanat. Difficile jeu d'équilibre. Rendre l'information chaque fois plus accessible pour dénaturaliser la violence domestique, travailler en réseau au niveau local, du quartier. Respecter la démarche personnelle de la femme en situation de VD mais la faciliter. Retrouver la flexibilité de structures institutionnelles qui favorise la fluidité des relations profesionnelles et encourage la créativité, l'initiative de chacun au lieu de les étouffer.

Reconsidérer aussi nos relations avec les pouvoirs subsidiants et nos donateurs-trices, les aborder en qualité de partenaires et non de tiroirs-caisse. Redonner de la "jeunesse" à notre intervention ! La bonne réception du projet  par les premières intéressées, les femmes en situation de VD, nous donne des ailes !
Cet état d'esprit, je le "retrouve" avec Virginia, Daniel, Gabriela, Amparo, Blanca, Lilian, Cristina, les equipes des polycliniques du quartier et autres intégrants-es de ce projet. A distance, avec DANA et autres excollègues-amies du refuge pour femmes battues de Bruxelles, un lien nous unit également.

Veiller à la transparence de la gestion des actions réalisées et à la fluidité de l'information, tel est le sens aussi de ce blog.

La polyclinique de l'asentamiento n'est pas encore terminée
et a déjà sa touche carnavalesque !
Cristina de notre groupe de femmes km 16