17/12/2013

Le bal des préjugés

Quand un agent de quartier se met à danser, front contre front avec son semblable, un autre homme, c’est un monde de préjugés qui s’effondre, doucement, au son d’une musique qui nous transporte, dans le silence de chacun-e. Bouleversant. Il est arrivé avec sa grosse moto tout terrain, en uniforme, au 3ème atelier organisé par la Pitanga, dans le cadre d’un cycle de 5 ateliers de sensibilisation sur la violence domestique. Nous étions une douzaine du « km 16 » : docteur, doctoresses, assistante sociale, voisines, éducatrice, délégués de quartier, tous engagés-es dans une même cause: la lutte contre la violence faite aux femmes.



Il y a 30 ans, quand j’ai débuté ma carrière d’assistante sociale dans ce domaine, peu de choses écrites existait sur le sujet : nous étions des « féministes » dénonçant un problème vécu par de nombreuses femmes, dans le secret des familles, dans la honte et l’isolement et nous avions besoin de comprendre. Pourquoi ? Comment était ce possible ? Trouver des explications à l’inacceptable et donner sens à notre révolte.



Le temps est passé, nous avons compris, nous nous sommes formées, nous avons appris comment intervenir avec respect et efficacité auprès des femmes « victimes » de violence domestique et nous nous sommes aussi autorisées à prendre conscience et à « sentir » : l’impuissance, la toute puissance, la frustration, la fureur, la déception, la peur, la tristesse mais aussi la joie et la satisfaction. La leur et la nôtre aussi. Et le monde de nos émotions, de nos sensations est devenu outil de travail dans cette relation à l’autre. Nous avons pris conscience au fil du temps que nos préjugés, les messages reçus dans l’enfance quant aux rôles homme-femme, les attentes qu’on a de moi « parce que » je suis femme, « parce que » je suis homme, la question du pouvoir inhérente à la relation humaine, tout cela est entre moi et l’autre, facilite ou fait obstacle à la relation et à l’intervention.



Et le corps dans tout cela ? Le regard porté sur l’autre, le toucher l’autre, le corps meurtri de l’autre (physiquement, émotionnellement), mon propre corps.



La souffrance de l’autre… Comment mon corps l’absorbe, la repousse, l’ignore ou, dans un difficile jeu d’équilibre d’"auto-cuidado ", la reçoit pour accompagner et soutenir. Comment je m’engage corporellement dans la relation : mes attitudes, l’expression du visage, le ton de la voix,les mains qui pianotent d’impatience, les jambes que je croise et décroise ou au contraire la tranquillité,l’écoute que je transmets corporellement.



Tel était le pari de ce troisième atelier, mené par une compagne thérapeute corporelle. Fabuleux. Inédit pour la plupart .Une grande première pour moi aussi : oser intégrer cette approche dans un cycle de formation sur la violence domestique.J’étais convaincue que notre agent de quartier allait refuser de travailler et j’étais prête à l’accepter. Au bout de 5 minutes, il nous a demandé l’autorisation d’enlever son ceinturon de travail, a déposer les armes dans un coin de la salle et j’ai été bien obligée de déposer, moi, mes préjugés, mes aprioris, mes jugements de valeur.



Par pudeur et respect, je n’ai pris aucune photo pendant la séance de travail mais des images fortes restent gravées dans ma mémoire et je souhaite que l’énergie qui a circulé entre nous ce jour là puisse aujourd’hui circuler dans mon récit.


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