Quand
un agent de quartier se met à danser, front contre front avec son
semblable, un autre homme, c’est un monde de préjugés qui s’effondre,
doucement, au son d’une musique qui nous transporte, dans le silence de
chacun-e. Bouleversant. Il est arrivé avec sa grosse moto tout terrain,
en uniforme, au 3ème atelier organisé par la Pitanga, dans le cadre d’un
cycle de 5 ateliers de sensibilisation sur la violence domestique. Nous
étions une douzaine du « km 16 » : docteur, doctoresses, assistante
sociale, voisines, éducatrice, délégués de quartier, tous engagés-es
dans une même cause: la lutte contre la violence faite aux femmes.
Il
y a 30 ans, quand j’ai débuté ma carrière d’assistante sociale dans ce
domaine, peu de choses écrites existait sur le sujet : nous étions des «
féministes » dénonçant un problème vécu par de nombreuses femmes, dans
le secret des familles, dans la honte et l’isolement et nous avions
besoin de comprendre. Pourquoi ? Comment était ce possible ? Trouver des
explications à l’inacceptable et donner sens à notre révolte.
Le
temps est passé, nous avons compris, nous nous sommes formées, nous
avons appris comment intervenir avec respect et efficacité auprès des
femmes « victimes » de violence domestique et nous nous sommes aussi
autorisées à prendre conscience et à « sentir » : l’impuissance, la
toute puissance, la frustration, la fureur, la déception, la peur, la
tristesse mais aussi la joie et la satisfaction. La leur et la nôtre
aussi. Et le monde de nos émotions, de nos sensations est devenu outil
de travail dans cette relation à l’autre. Nous avons pris conscience au
fil du temps que nos préjugés, les messages reçus dans l’enfance quant
aux rôles homme-femme, les attentes qu’on a de moi « parce que » je suis
femme, « parce que » je suis homme, la question du pouvoir inhérente à
la relation humaine, tout cela est entre moi et l’autre, facilite ou
fait obstacle à la relation et à l’intervention.
Et le corps dans tout cela ?
Le regard porté sur l’autre, le toucher l’autre, le corps meurtri de
l’autre (physiquement, émotionnellement), mon propre corps.
La
souffrance de l’autre… Comment mon corps l’absorbe, la repousse,
l’ignore ou, dans un difficile jeu d’équilibre d’"auto-cuidado ", la
reçoit pour accompagner et soutenir. Comment je m’engage corporellement
dans la relation : mes attitudes, l’expression du visage, le ton de la
voix,les mains qui pianotent d’impatience, les jambes que je croise et
décroise ou au contraire la tranquillité,l’écoute que je transmets
corporellement.
Tel
était le pari de ce troisième atelier, mené par une compagne thérapeute
corporelle. Fabuleux. Inédit pour la plupart .Une grande première pour
moi aussi : oser intégrer cette approche dans un cycle de formation sur
la violence domestique.J’étais convaincue que notre agent de quartier
allait refuser de travailler et j’étais prête à l’accepter. Au bout de 5
minutes, il nous a demandé l’autorisation d’enlever son ceinturon de
travail, a déposer les armes dans un coin de la salle et j’ai été bien
obligée de déposer, moi, mes préjugés, mes aprioris, mes jugements de
valeur.
Par
pudeur et respect, je n’ai pris aucune photo pendant la séance de
travail mais des images fortes restent gravées dans ma mémoire et je
souhaite que l’énergie qui a circulé entre nous ce jour là puisse
aujourd’hui circuler dans mon récit.
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